Les Singulières

Un Usbek d’aujourd’hui chargé d’établir pour ses compatriotes persans une peinture de l’occident, et qui, pour s’épargner le voyage, s’en ferait une idée par le biais du cinéma (pourquoi ne profiterait-il pas après tout des bénéfices de la technologie moderne ?), tirerait de ses observations de drôles de conclusions en matière de démographie : moins d’un homme sur trois seulement est une femme¹. Son erreur ne s’arrêterait pas à ce seul constat comptable : les nuances qui caractérisent les hommes, les rôles qu’ils sont amenés à assumer, paraîtraient à cet observateur d’une bien plus grande richesse que ceux auxquels les femmes sont en droit d’aspirer.
Dans un strip devenu célèbre, l’auteur de comics Alison Bechdel fait dire à un de ses personnages qu’elle ne va voir un film que s’il répond aux trois critères du « Bechdel Test »² : 1 – il faut que le film mette en scène au moins deux femmes, 2 – que celles-ci aient entre elles une conversation qui 3 – ne concerne pas un homme. En somme, qu’un personnage féminin ne soit pas défini par son seul rapport aux personnages masculins. Le personnage ajoutait : « Le dernier film que je suis allé voir, c’était Alien » (est-ce un hasard s’il s’agit d’un film de science-fiction ?).
Comment s’étonner alors qu’aux regards de nos amis Persans, les femmes occidentales seraient d’élégants faire-valoir à leurs contreparties masculines ? Et comment les en détromper ? Très simplement en les conviant à découvrir les films de cette thématique. Simone, Lilly, Nora, Pauline et Juliet, héroïnes singulières partagent cette force propre qui les détermine : univers intérieur complexe autour duquel se construit un récit personnel, indépendamment, ou en dépit, d’un environnement souvent hostile qui voudrait les contraindre à une seule note, un seul répertoire. Ni modèles emblématiques d’une condition féministe, ni, surtout pas, fantasmes masculins – tendres soumises ou furies dominatrices – elles accèdent au droit de n’être que ordinaires : antipathique, cruelle ou tendre, ridicule, inspirée, courageuse, pathétique, puérile, obstinée ou obsédée… simplement humaines. Et, mine de rien, ce n’est pas un mince accomplissement pour un personnage de fiction.

1 – D’après l’article Inequality in 700 Popular Films (2014), 30% seulement des personnages des principaux films sortis entre 2008 et 2014 sont des femmes
2 – dans 44% des films sortis en 2014, s’il y a dialogue entre deux personnages féminins, le sujet de celui-ci est un homme.