La chambre des merveilles

Plaidoyer contre un monde sans monstre

Quand nous avons décidé de célébrer les 10 ans du festival autour de la thématique du freakshow, une question de principe s’est très vite posée : comment annoncer l’événement à la façon des spectacles de foire d’antan sans tomber dans le piège du sensationnalisme ? Montrer nos « phénomènes » sans les exposer à l’obscénité goguenarde du public ? Nous sont alors revenus en mémoire nos tout premiers débats sur le sujet, bien avant que le festival n’ait atteint la reconnaissance qu’il possède aujourd’hui. À l’époque, nous n’avions pour chapiteau que le plafond enfumé des bars où nous diffusions presque à la sauvette nos amours de films au gré de nos errances, et pour public quelques épaves avinées qui trainaient là, arrimées à leur bouteille de bière. Nous étions pourtant bien résolus à attirer un vrai public à nos séances. Évidemment, nous n’avions alors pas à notre disposition les moyens de promotion qui sont les nôtres aujourd’hui ! Il fallait faire avec ce qu’on avait sous la main.

Par chance la nature m’a dotée de quelques particularités autour desquelles j’avais, au fil des ans, développé ce qu’on appelle des « petits talents de société ». Elles me valaient d’ailleurs un certain succès dans les soirées : une hypertrophie des lobes d’oreilles dont les extrémités me pendaient au dessous des épaules, un appendice caudale – aujourd’hui malheureusement atrophié – et surtout une sorte de tumeur en bourrelet à la base du cou, striée de fines entailles semblables à des branchies dont j’arrivais à tirer, par un effet d’expiration, un son langoureux et apaisant un peu semblable à ces enregistrements de chants de baleines qui connaissaient alors un certains succès. En un mot, j’attirais les regards. Je n’étais pas la seule.
A l’époque travaillaient dans notre petite troupe un couple de naines féministes radicales atteinte de schizophrénie aiguë et dont je ne suis jamais parvenue à savoir à coup sûr si elles étaient vraiment deux, ou une seule et même personne. Caractérielles, faisant même parfois preuve d’une ardente cruauté réciproque, certes, mais irrésistibles dans leur numéro de soeurs ennemies. Et le public en redemandait ! Car du monde, mine de rien, on en drainait, et du beau : pas juste nos cirrhosés des débuts, non, des gens sobres capables de tenir d’un bout à l’autre d’une pelloche sans émettre un ronflement – ce qui vous change une projection ! On batelait ferme pour ça, sur les trottoirs devant nos cinémas de fortune, on promettait notre jamais vu, on prostituait nos singularités… Très vite il faut dire, notre enthousiasme des débuts s’est émoussé, la satisfaction de voir nos salles se remplir se teintant d’une honte diffuse, qui se précipitait en concentré d’humiliation lorsque les regards inquisiteurs s’installaient gourmandement sur nos difformités, même quand l’écran, lumières éteintes, aurait dû les accaparer tout entier. C’est là qu’on a
commencé à se demander si on pouvait « exposer l’insolite » sans donner l’impression de le « donner à voir en pâture ».

Quand aujourd’hui, nous nous sommes posé cette délicate question à propos de l’affiche du festival, les enjeux évidemment n’étaient plus les mêmes ; j’ai perdu mes lobes dans un accident de chirurgie esth
étique, ma queue a poussé à rebours jusqu’à disparaître complètement et mon goitre musical s’est noyé dans l’alcool me laissant juste au cou une cicatrice de pendu. Les jumelles, aux dernières nouvelles, se sont unies pour le meilleur et pour le pire dans une petite chapelle de Las Vegas. Bref, nous nous sommes ralliées à la normalité, un peu par paresse, un peu par accident. Alors, non, évidemment, la question ne se pose plus avec la même gravité, elle ne concerne plus la condition de personnes réelles, sensibles et enclines à la souffrance, qu’un regard déplacé pouvait blesser. Elle est juste et simplement théorique. Nous l’avons finalement tranchée, faute de mieux, par un « Soyez des Nôtres » quelque part sur l’affiche, qui, tout en suggérant que nous nous incluons nous aussi dans la grande parade des phénomènes exposés à votre curiosité, vous invite à rejoindre les rangs – ici purement métaphoriques – des déformés de la terre.

Car tout cela reste tristement théorique au fond : où sont de nos jours les authentiques monstres de foire, bannis par le triomphe de l’hygiénisme génétique et notre aversion collective pour la singularité dérangeante ? Uniquement au cinéma.

Glissements Progressifs du Plaisir
12 / 04 / 2017 - 15h00
Litan
12 / 04 / 2017 - 17h00
Le Marteau des Sorcières
12 / 04 / 2017 - 21h30
Réincarnations
13 / 04 / 2017 - 15h00
Le Labyrinthe des Rêves
13 / 04 / 2017 - 17h00
La Sentinelle des Maudits
14 / 04 / 2017 - 15h00
Hitcher
15 / 04 / 2017 - 16h30
Epidemic
16 / 04 / 2017 - 11h00
Le Grand Silence
16 / 04 / 2017 - 16h30
Marketa Lazarová
17 / 04 / 2017 - 16h00